Voici un petit guide pratique sur comment faire valoir vos droits devant une juridiction.
Mais avant de commencer, limitons strictement le domaine de ce guide pratique : il ne s’agit que d’un petit litige entre particuliers ou avec un professionnel, d’origine contractuelle, typiquement de la consommation, d’un montant inférieur à 10.000 euros.
Ce guide n’est pas valable aux litiges :
- avec votre employeur
C’est le domaine du Conseil de prud’hommes.
- avec l’administration
C’est le domaine du tribunal administratif voire du Conseil d’Etat.
- lié à une contravention, un délit ou un crime.
Portez plainte (auprès de la police ou Gendarmerie ou auprès du Doyen des Juges d’instruction), et si c’est sérieux, allez voir un Avocat.
- de plus de 10.000 euros
C’est le domaine du Tribunal de Grande Instance. Représentation par Avocat obligatoire.
Ce guide peut néanmoins vous être utile si vous êtes en litige avec votre bailleur, quel que soit le montant (même inférieur à 4000 euros ou supérieur à 10.000). Saisissez alors le tribunal d’instance.
Un procès est comme une bataille, un affrontement : une partie triomphe, l’autre succombe.
Or une bataille, ça se prépare.
Etape 1 : Étudier le terrain (lire le contrat).
C’est la pièce essentielle du procès. C’est sur la base de cette pièce, que le juge prendra une décision. Pour un contrat de vente, il s’agit classiquement des “conditions générales de vente” figurant généralement au dos de la facture ou du bon de commande. Lisez les clauses, elles définissent les obligations de votre cocontractant. C’est essentiel car le juge pourra apprécier son comportement.
Etape 2 : Mobiliser ses troupes (lire la loi).
Nul n’est censée l’ignorer, mais si vous allez devant un juge, vous êtes censée connaître celle qui s’applique à votre cas. N’allez pas chercher vos réponses sur des forums Internet.
Service-public.fr ou encore Légifrance peut vous aider à trouver les textes applicables à l’espèce. Cet aspect qui est anecdotique pour un juriste est le plus difficile pour qui veut agir seul en justice.
Faites particulièrement attention aux délais que la loi impose parfois pour agir en défense de ses droits car si vous agissez tardivement, vous risquez de voir votre action déclarée irrecevable et votre adversaire vous poursuivre pour procédure abusive.
Faites vous des fiches. Vous commencerez à comprendre pourquoi on a toujours besoin d’un Avocat.
Etape 3 : Connaître l’ennemi et sa force de combat (identifiez votre adversaire).
Faire un procès, c’est bien, mais à qui ? Si c’est à une personne physique, il n’y a guère de difficulté : vous devez connaître son nom, prénom et son domicile.
Si c’est une société, c’est plus difficile car c’est peut être une enseigne et c’est une société au nom fort différent qui est votre cocontractant. Et en cas d’erreur, la procédure est nulle. Vous ne pourrez pas vous rattraper.
Par exemple, si vous voulez faire un procès à Hippo Grill de votre quartier qui vous a servi du soda Light au lieu du modèle Zéro : si vous attaquez le restaurant Hippo Grill du 61, Boulevard Dupont, vous risquez fort de vous retrouver seul au tribunal.
En effet, la plupart de ces restaurants sont gérés par des SARL autonomes, qui ont signé un contrat avec Hippo Grill France qui leur permet d’exploiter leur marque contre rémunération (c’est ce qu’on appelle un contrat de franchise). Et Hippo Grill France N’EST PAS votre cocontractant.
Alors où trouver cette information ? En principe, dans le contrat. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Alors, cherchez son numéro SIREN, ou RCS (Registre du commerce et des Sociétés). C’est un numéro à 9 chiffres, précédé du nom d’une ville. Par exemple, Nanterre 233 789 345.
Il figurera sur le ticket de caisse, à tout le moins.
Allez sur infogreffe, et vous pourrez connaître gratuitement le nom et le siège social, ainsi que la forme de cette société (SARL, SA, SAS, SNC…).
Ou encore Société.com. Ou bien manageo.fr. Un tout autre site remis régulièrement à jour : verif.com
C’est totalement gratuit.
Etape 4 : L’ultimatum à l’adversaire (la mise en demeure)
Ne saisissez pas directement le juge, même si vous êtes persuadé que votre adversaire ne réagira pas.
Un dossier se prépare et se monte. Gonflez-le intelligemment. Montrez au juge que si vous le saisissez, c’est que votre adversaire ne vous a pas laissé le choix, et qu’il ait votre dernier rempart.
Adressez à votre adversaire un courrier en recommandé AR, en vous identifiant clairement, et en posant en termes simples et mesurés les termes du litige.
Exemple : vous avez acheté ce produit tel jour à tel endroit (précisez bien le numéro de contrat ou de facture, et joignez copie dudit document). Il s’était engagé à ceci ou cela, mais tel problème est survenu qui entraîne telle conséquence pour vous (le produit ne marche pas, n’est pas conforme, la livraison n’a pas eu lieu ou avec retard).
Vous avez fait les démarches suivantes pour régler le problème ou contacter ses services pour qu’ils fassent en sorte de le régler (appel au service client ou vous vous êtes déplacés au magasin) mais aucune solution satisfaisante n’en est sortie parce que… (le bien n’est toujours pas livré, vous n’avez pas été remboursé malgré les promesses verbales,etc).
En conséquence, vous exposez ce que vous réclamez (le remboursement des sommes que vous avez payées, des frais que vous avez dû exposer pour régler en urgence le problème, etc…), et concluez que faute de réponse de leur part sous un délai que vous fixez (tenez compte de la complexité du dossier, huit jours est un minimum, 15 jours est raisonnable), vous saisirez de ce problème la juridiction compétente.
Ce courrier avec l’AR signé sera une pièce importante de votre dossier devant le juge.
Veillez donc à ce que le ton soit mesuré, exposez les faits clairement et expliquez en quoi votre adversaire est fautif. Inutile de dire que ce sont des nuls ou des escrocs et que leur personnel est incompétent. Ils le savent probablement déjà, c’est très mal élevé de leur rappeler. Permettez vous tout au plus de dire avoir été “surpris” de la réponse des services de votre adversaire
Etape 5 : Choisir le lieu de la bataille (déterminer le tribunal compétent)
Vous ne pouvez pas aller devant n’importe quel tribunal car chaque tribunal a son domaine de compétence bien défini par la Loi.
Seuls deux juridictions sont susceptible d’entendre votre problème et d’y apporter une solution, la différence se faisant en fonction du montant : s’il est inférieur à 4000 euros, c’est la juridiction de proximité. S’il est entre 4001 et 10.000 euros, c’est le tribunal d’instance.
Le tribunal d’instance est composé d’un seul juge, assisté d’un greffier. La juridiction de proximité aussi. Le tribunal d’instance siège dans un lieu appelé le tribunal d’instance. Le juge de proximité siège aussi dans le tribunal d’instance. La procédure devant le tribunal d’instance est orale et simplifiée. C’est exactement la même qui s’applique devant la juridiction de proximité.
Alors, où est la différence ? Elle est fondamentale :
- Dans la forme : le juge d’instance porte une robe, le juge de proximité porte une médaille en sautoir.
- Dans les compétences : le juge d’instance est un magistrat professionnel. Le juge de proximité ne l’est pas.
Mais quel tribunal d’instance, quelle juridiction de proximité ?
En principe, celle du domicile de votre adversaire.
Mais si vous habitez Lille et que l’adversaire est à Bordeaux, pour un contrat à 150 euros, que faire ?
La loi a prévu d’autres possibilités. Vous pouvez également saisir la juridiction du lieu de livraison de la chose ou de la prestation de service si elle peut être localisée.
Si c’est un litige avec votre assureur, c’est toujours le tribunal de votre domicile. Si le contrat prévoit une clause attribuant la compétence à tel tribunal, et que vous êtes un consommateur face à un professionnel, cette clause ne vous lie pas. Vous pouvez saisir ce tribunal si ça vous arrange, sinon, vous appliquez les règles ci dessus.
Cela est bien beau mais dans quelle ville se trouve mon Tribunal ?
Pas de panique, mon Général. sur cette page du ministère de la justice, vous tapez votre code postal, et vous saurez ainsi où se situe votre tribunal d’instance ou votre juge de proximité.
Etape 6 : La déclaration de guerre (La saisine du tribunal).
Votre dossier est complet et les pièces sont numérotées. Votre AR est revenu dûment signé il y a quinze jours, et toujours pas de réponse de votre adversaire. Qu’importe, vous êtes prêt. Alors vous pouvez lancer la grosse machine judiciaire et larguer les premières bombes à votre adversaire. La guerre peut commencer.
La saisine est l’acte qui va porter officiellement votre demande à un juge, qui sera obligé d’y répondre par un jugement.
Il a principalement un rôle d’information : il doit informer votre adversaire de ce que vous lui reprochez, et informer le juge du problème dont il est saisi.
Deux moyens s’offrent à vous : la voie normale, celle de l’assignation, et la voie simplifiée, pour les litiges inférieurs à 4000 euros : la déclaration au greffe. Toutefois, signalons que l’assignation est toujours valable, quel que soit le juge et le montant.
- La déclaration au greffe.
Pour cela, il faut vous procurer un formulaire idoine. Il faut donc vous rendre au greffe du tribunal d’instance ou en demander un par courrier, car le vrai formulaire est autocopiant, et il faut plusieurs exemplaires de votre recours.
Si votre adversaire est une Société, l’extrait Kbis vous sera demandé. Il n’est pas rigoureusement indispensable, il vise à s’assurer que l’adversaire, s’il est une société, est bien identifié. Vous pouvez aller directement sur Société.com ou sur les autres sites dont je faisais référence pour imprimer gratuitement un extrait kbis.
La partie importante est sur la page 2, à la rubrique “pour obtenir :…”
C’est la seule difficulté du formulaire. Il vous faut formuler précisément vos demandes et expliquer sur quoi elles reposent (c’est ce qu’on appelle les motifs de la demandes).
Si vous demandez à ce que votre adversaire vous paye une somme d’argent, précisez combien. Attention à ce que le total cumulé n’atteigne pas 4000 euros. Si vous demandez l’annulation d’une vente, précisez laquelle, en rappelant son montant.
Il est à rappeler que l’article 700 du Code de Procédure Civile (qui couvre les frais de procédure) ne fait pas partie du montant total cumulé.
Toute imprécision se retournera contre vous. Pour le ton, toujours le même : sobre, clair, impersonnel, modéré.
Voici un exemple de rédaction possible :
“POUR OBTENIR : l’annulation de la commande du 1er mars 2011, passée auprès de la société JPEG & BRUNO, et d’un montant de 1.500 euros portant sur un canapé 6 places ayant fait l’objet du bon de commande n°2345 (pièce n°1), et le remboursement des 600 euros d’acompte payés lors de la commande. En effet, le bon de commande stipulait une livraison dans un délai de deux mois soit le 2 mai 2011 au plus tard. Le 18 mai 2011, cette livraison n’ayant toujours pas été effectuée, l’exposant a dénoncé la vente par lettre recommandée AR (pièce n°2) conformément à l’article L.114-1 du Code de la consommation. Cette commande doit donc être considérée comme nulle et non avenue.”
Si le problème est trop compliqué pour tenir sur un espace aussi bref, songez sérieusement à recourir à l’assignation.
Une fois complété, vous adressez le formulaire au greffe du tribunal d’instance ou du juge de proximité. Le greffe vous adressera une convocation par lettre simple et à votre adversaire par lettre recommandée.
Contrairement à l’assignation, vous n’aurez pas de choix de date.
- L’assignation
L’assignation est un acte informant votre adversaire que vous lui intentez un procès, et l’informez que l’affaire sera jugée tel jour à telle heure devant tel tribunal.
Elle comporte à peine de nullité des mentions obligatoires, mais rassurez vous, vous n’avez pas à vous en préoccuper. Et pourquoi ?
Parce que l’assignation va demander l’intervention d’un huissier, et la présence de ces mentions est de sa responsabilité.
Il va d’abord falloir rédiger le corps de l’assignation. Ca, c’est de votre responsabilité.
Première partie : le rappel des faits
Vous rappelez donc le déroulement de l’affaire jusqu’à ce jour, en ordre chronologique. Le temps le plus adéquat est le passé composé.Faites dans le style impersonnel, parlez de vous à la troisième personne en citant votre nom.Quand vous avez une pièce dans votre dossier qui vient appuyer, signalez le en rappelant juste à côté (Pièce n°X…).
La deuxième partie est la DISCUSSION. L’argumentation en droit.
Le plus simple est de respecter la forme du syllogisme : la majeure (la règle de droit), la mineure (la situation correspond à la règle de droit), et conclusion : il faut appliquer la règle de droit à la situation.
L’assignation se termine par le “par ces motifs”, une conclusion dans laquelle vous formulez précisément vos demandes. Soyez vigilant à la rédaction de cette partie.
TRES IMPORTANT : vous devez absolument annexer à votre assignation un bordereau reprenant la liste des pièces dont vous entendez faire usage. C’est facile : elles sont mentionnées et numérotées dans l’assignation. Vous écrivez donc en haute de la feuille : “Liste des pièces invoquées au soutien de la présente”, puis vous listez.
Si vous oubliez cette liste, votre assignation est nulle. La loi est dure mais c’est la loi.
Voilà l’assignation rédigée. Inutile de la signer.
Une fois que l’assignation est prête, téléphonez au greffe civil du tribunal d’instance ou du juge de proximité, et demandez au greffier une date pour une assignation.
Le greffier vous proposera une date, pour savoir si vous pourrez vous libérer ce jour là. Si ça vous convient, il notera votre nom, celui de votre adversaire, et vous indiquera l’heure de l’audience (9 heures ou 13h30 généralement). Si ce n’est pas le cas, demandez le lui, c’est important, l’assignation devra le mentionner.
Ensuite, contactez un huissier proche du domicile de votre adversaire. Idéalement prenez le dans la même ville, vous êtes tranquille. S’il habite Beffu et le Morthomme, où il n’y a pas d’huissier, choisissez un huissier demeurant dans la ville du tribunal d’instance du domicile de votre défendeur et vous serez tranquille.
Envoyez lui une copie du texte de l’assignation à l’huissier, en lui demandant par la lettre d’accompagnement de signifier cette assignation à la société JPEG & BURO, demeurant 1 rue des Innocents à NEGREVILLE, pour l’audience du juge de proximité ou du tribunal d’instance de tel endroit (précisez l’adresse, la date et l’heure de l’audience et les éventuelles mentions de salle, d’étage, etc). Il est possible qu’il vous demande une provision, c’est à dire de lui donner une avance financière. Il en a parfaitement le droit.
Quelques jours plus tard, vous recevrez par courrier un exemplaire de votre assignation, avec une page de garde commençant par “L’An deux mille Dix, et le 13 février, j’ai, (nom de l’huissier), …, qui reprend toutes les mentions légales, notamment celle que faute par votre adversaire de comparaître, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par vous, et la liste des personnes pouvant le représenter devant le tribunal.
A la fin de votre assignation, vous aurez un procès verbal de signification, qui relatera à qui l’original de l’assignation a été remis et comment. C’est très important pour le tribunal.
L’exemplaire que vous avez n’est pas une copie. C’est un “second original”, le premier étant entre les mains du destinataire.
Faites vous une copie pour vous, et envoyez le second original au greffe civil du tribunal que vous avez saisi.Le greffe enrôlera l’affaire, c’est à dire inscrira l’affaire à l’ordre du jour de l’audience (qu’on appelle le rôle, car autrefois c’était un rouleau de papier).
Et voilà ! Le tribunal est saisi.
Attention : N’oubliez pas de communiquer vos pièces à l’adversaire car il y a un principe fondamental du procès que le juge est tenu de vous faire respecter : c’est le principe du contradictoire.
Si vous êtes prévoyant, envoyez une copie de vos pièces à l’huissier, qui signifiera les pièces en même temps que l’assignation, et là vous êtes tranquille.
Votre adversaire doit faire de même avec vous. Si c’est un avocat, il vous enverra une argumentation écrite, sur le même plan qu’une assignation, appelée “Conclusions”, accompagné des pièces.
N’hésitez pas à le mettre en demeure par recommandé de vous envoyer copie de toute pièce qu’il désire produire devant le tribunal. Si vous avez mis votre adversaire en demeure de le faire, vous pouvez demander au juge d’écarter purement et simplement ces pièces.
Voilà. Les pièces ont été échangées. Les arguments de chacun sont connus. L’audience n’est plus qu’à quelques jours.
Mais comment se passe une audience civile ?
Etape 8 : La bataille à proprement dite (le procès et son déroulement)
Relisez plusieurs fois votre dossier, pour vous imprégner des éléments qu’il contient. Une audience est un peu comme un oral : vous aller devoir exprimer votre point de vue, le soutenir, et répondre aux questions que vous posera le juge. Faites vous une fiche reprenant les différentes dates (contrat, incident, mise en demeure, réponse adverse…), et citant les textes de loi que vous comptez invoquer. En cas de trou à la barre (c’est fréquent), vous n’aurez pas ainsi à fouiller fébrilement dans votre dossier dans un silence de plomb sous les regards moqueurs de l’assistance.
Enfin, si vous avez bien suivi, vous aurez remarqué qu’à ce stade, le juge n’a pas vos pièces. Vous les lui laisserez à la fin de l’audience. Il faut donc lui préparer une copie des pièces à son attention. Si vous ne pouvez pas en faire et lui laissez les originaux, il vous faudra venir les chercher au greffe une fois que le jugement aura été rendu. Certains greffes les renvoient par courrier, mais pas tous et la loi ne les y oblige pas. Préparez donc une chemise en carton (une simple, format A3 pliée en 2, écrivez dessus, si possible au marqueur, “Pièces du demandeur“, ou pièces du défendeur si vous êtes en défense, ça arrive aussi.
Le jour dit, rendez vous au tribunal. Soyez à l’heure, ça vous évitera bien des mésaventures. La salle d’audience est ouverte au public, vous pouvez vous faire accompagner, mais votre accompagnant devra rester sur les bancs du public quand votre affaire sera appelée.
L’organisation des audiences varie selon les tribunaux. Certains ont encore un huissier d’audience, dans d’autres c’est le greffier qui joue ce rôle, et dans d’autres encore (à Paris, c’est quasiment toujours le cas), il n’y a pas d’huissier mais seulement un appel des causes. Observez les avocats qui arrivent. S’ils vont tous parler avec une personne en robe qui consulte une liste et griffonne dessus, allez voir cette personne pour vous présenter à elle. Elle note sur une copie du rôle les parties présentes et indiquera ainsi au tribunal les dossiers complets, où toutes les parties sont présentes.
Si les avocats restent assis à discuter entre eux, c’est qu’il y aura seulement un appel des causes.
Le tribunal fera son entrée, annoncé généralement par une sonnette. Levez vous, c’est un salut respectueux du tribunal, qui juge au nom du peuple français. C’est donc un représentant du souverain qui entre.
Deux personnes devraient entrer. S’il y en a d’autres, ce peut être des stagiaires, étudiants en droit, élèves avocats, futur greffier et magistrats, éventuellement un médiateur. Le magistrat du tribunal d’instance porte une robe noire avec une épitoge sur l’épaule gauche, sa robe étant doublée sur le devant de deux simarres en soie, qui descendent de chaque côté des boutons de la robe, tandis que la robe du greffier n’a ni épitoge ni simarre. Bon, un truc plus simple pour les distinguer : le juge vous invitera à vous asseoir et s’assiéra au milieu, le greffier sera plus sur le côté et surtout posera devant lui une trousse d’écolier remplie à ras bord de stylos de toutes les couleurs. Vous verrez : la trousse est un excellent truc pour repérer un greffier. Le juge de proximité est plus facile à identifier : il ne porte pas de robe mais une médaille autour du cou (en sautoir).
Le juge déclarera l’audience ouverte et procédera à l’appel des causes, c’est à dire la lecture du rôle. C’est un simple appel. Quand vous entendrez votre nom, levez vous et dites haut et clair “Présent“. Si votre adversaire est présent, il se signalera aussi : voilà l’occasion de vous présenter à lui pour savoir s’il a des pièces à vous communiquer. Le juge dira alors “retenue“, et posera votre dossier sur une des piles devant lui.
Quand dans une affaire, une partie sollicite un renvoi, c’est à dire que l’affaire soit jugée à une date ultérieure, elle le dira lorsqu’elle sera appelée. Généralement, le juge examinera immédiatement la demande de renvoi. S’il y fait droit, le greffier indiquera la date à laquelle l’affaire sera à nouveau appelée. Le juge précisera que le renvoi est “contradictoire”, c’est à dire qu’il n’y aura pas de convocation écrite. Notez bien la date. Le greffe envoie parfois une lettre de confirmation, mais ce n’est pas obligatoire. A Paris, les tribunaux vous remettront un calendrier d’audience, fixant une date limite pour que vous communiquiez vos pièces, une date pour que le défendeur vous communique les siennes (toujours postérieure), et une date d’audience définitive. Si vous ne respectez pas ces dates, votre affaire sera radiée. Mais si vous avez bien suivi la deuxième partie, il n’y aura pas de problème.
S’il refuse la demande de renvoi, ou qu’il n’y a pas de demande, l’affaire est dite “retenue”, c’est à dire qu’elle est mise sur la pile des affaires à juger aujourd’hui.
Une fois les affaires renvoyées ou retenues, le juge procèdera souvent à un deuxième appel des affaires incomplètes lors du premier appel pour voir si un retardataire souhaite se manifester. Si les affaires ne sont toujours pas complètes, elles seront mises de côté pour la fin de l’audience, ou radiées du rôle si c’est le demandeur qui est absent.
Une affaire radiée peut être rétablie au rôle par simple courrier au greffe dans un délai de deux ans. Au delà, il y a péremption de l’instance, votre saisine est caduque, il faut recommencer à zéro. En réponse à votre courrier, vous recevrez une nouvelle convocation à une audience.
Une fois cette phase terminée, qui prend facilement une demi heure voire une heure, la première affaire sera appelée. L’usage veut que les affaires avec avocats soient appelées en premier. Si votre adversaire n’en a pas pris, vous risquez fort de poireauter un petit bout de temps. Profitez en pour relire votre dossier.
Ca y est, votre affaire est appelée. Avancez vous vers les pupitres prévus pour les parties, qui sont parfois collés au bureau surélevé du juge. Ce bureau est en effet sur une estrade : il forme une petite tribune. Vous connaissez désormais l’origine du mot tribunal.
Le juge a ses manies, il y aura un côté demandeur, un côté défendeur. Ca lui facilite la vie. Observez les affaires qui passent avant vous. Si vous vous trompez, le juge vous invitera poliment à échanger vos places, c’est tout.
Avant d’ouvrir la bouche, un peu d’étiquette. Vous êtes dans un tribunal. Votre comportement doit être celui d’un honnête homme, courtois, respectueux, bref, d’un citoyen. Ne coupez pas la parole à votre adversaire, ni surtout au juge. Vous vous adresserez à lui en l’appelant “Monsieur le juge” ou “Monsieur le Président” ; si c’est une femme. “Madame la juge” ou “Madame la Présidente”
PAS de “Votre Honneur”. On emploie cette expression que dans les pays anglo-saxons, et encore : on l’emploie en anglais. PAS de “Objection !”. Même remarque que précédemment.
Le juge vous demandera qui vous êtes, qui est votre adversaire, puis rappellera à quel titre il est saisi (assignation, déclaration au greffe). La première chose que doit faire le juge est s’assurer que les parties devant lui ont qualité à agir, c’est à dire sont la personne concernée ou son avocat ou une des personnes que la loi autorise à représenter quelqu’un devant le tribunal d’instance ou le juge de proximité, et s’il est légalement saisi. Règle d’airain en toute matière juridique : un juge qui n’est pas valablement saisi ne peut rien faire. Les cas où le juge peut se saisir d’office sont rarissimes (juge des tutelles, juge des enfants, principalement : ce sont les cas où il y a une personne à protéger et personne ne pourrait agir légalement).
Une fois ces constations faites (notez que le greffier prend activement des notes ou, pour les tribunaux les plus modernes, tape fébrilement sur son clavier), l’examen au fond commence.
Là, le juge mène son audience comme il l’entend. Soit il rappellera lui même les faits en se basant sur votre assignation ou votre déclaration au greffe, soit il vous donnera d’emblée la parole. C’est là que la préparation de l’audience paiera.
Regardez le juge dans les yeux. Vous lui expliquez votre dossier, simplement, et clairement. Petit truc : commencez avec une phrase d’attaque résumant ce que vous demandez, puis vous attaquez les faits. Ne noyez pas le juge sous les détails insignifiants. Le juge vous posera peut être des questions. Même règle : clair, concis.
Puis il donnera la parole à la partie adverse. Quoi qu’il dise, ne lui coupez pas la parole. Prenez des notes si ce qu’il dit vous semble mériter une réponse (qui devra être très courte), et posez vous la question préalable : “ce qu’il dit est-il pertinent ?” De toutes façons, c’est au défendeur d’avoir a parole en dernier : si vous demandez à reprendre la parole, le juge devra la redonner à votre adversaire. Si ça tourne au dialogue de sourd, il va se fâcher.
Le juge clôturera les débats (donc c’est fini, plus de remarque de dernière minute, plus de “dernière chose”, c’est inutile, le juge ne vous écoute plus), et dira “délibéré au…(date à environ un mois)”. C’est la date à laquelle le jugement sera rendu. N’oubliez pas de remettre au juge la chemise contenant vos pièces. Il en aura besoin pour délibérer. Pour le jugement, inutile de revenir au tribunal le jour de délibéré. Le greffe vous en adressera un exemplaire par courrier, mais pas le jour même.
Si vous trépignez d’impatience, vous pouvez téléphoner au greffe civil pour leur demander le délibéré mais le manque de personnel fait qu’ils refusent souvent de les communiquer au téléphone. Si vous vous déplacez, en revanche, ils sont obligés de vous le donner. Sachez qu’au téléphone, ils ne vous donneront que le “par ces motifs” c’est-à-dire ce que le juge a décidé.
Attendez de recevoir la grosse. La grosse est la copie exécutoire du jugement. Autrefois, les tribunaux écrivaient leurs jugements, tous leurs jugements, dans des registres tenus à la main. Pour économiser de la place, les jugements étaient écrits tout petit. On appelait ça les minutes, du latin minus, petit. Par contre, on remettait aux parties une copie écrite en gros caractères pour qu’elle soit aisément lisible : la grosse. Voilà pourquoi la copie que vous recevrez portera la mention “Extrait des minutes du tribunal de proximité de Couville“. La grosse se reconnaît parce qu’elle porte en original un tampon contenant la formule magique suivante, accompagnée du sceau du tribunal et de la signature du juge et du greffier :
“En conséquence, la République Française mande et ordonne à tous Huissiers de Justice sur ce requis de mettre la dite décision à exécution, aux Procureurs Généraux et aux Procureurs de la République près les Tribunaux de Grande Instance d’y tenir la main, à tous Commandants et Officiers de la Force Publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis. En foi de quoi, la présente décision a été signée par le Président et le Greffier.”
Envoyez à un huissier l’original de la grosse du jugement, en lui demandant de signifier ce jugement. Signifier veut dire, en langage juridique, faire porter à la connaissance de quelqu’un par huissier. L’assignation est signifiée, et le jugement doit l’être aussi.
En effet, les copies des jugements sont adressées par le greffe par lettre simple. La signification garantit que votre adversaire ne peut plus légalement ignorer le jugement.
Etape 9 : L’armistice (les voies de recours)
La signification fait partir le délai des voies de recours.
Si l’affaire est supérieure à 4000 euros, votre adversaire peut faire appel. Il a un mois pour ce faire à partir de la signification. La guerre n’est alors pas terminée.
En revanche, s’il n’a rien fait au bout d’un mois, le jugement est définitif : il ne peut plus être contesté. Vous pouvez passer à l’exécution.
S’il fait appel, vous devez obligatoirement charger un avoué de vous représenter (facultatif en matière sociale). Pour une affaire simple, l’avoué pourra rédiger les conclusions lui même.
Si l’affaire est inférieure à 4000 euros, seul le pourvoi en cassation est ouvert. Et de toutes façons, le pourvoi n’est pas suspensif, le jugement est exécutoire immédiatement à la signification. Il y a des exceptions, des affaires où quel que soit le montant, l’appel est ouvert (crédit à la consommation, par exemple). Pour savoir, lisez le jugement. Si le “par ces motifs” commence par la formule “par jugement contradictoire et en premier ressort”, l’appel est ouvert. Si le jugement est “contradictoire, en premier et dernier ressort”, il n’y a pas d’appel possible.
Enfin, le jugement peut avoir ordonné “l’exécution provisoire” : dans ce cas, même si l’appel est ouvert, vous pouvez faire exécuter le jugement.
L’affaire sera alors portée devant la Cour d’appel et il faudra recommencer la bataille.
Etape 10 : Vous avez gagné la guerre ? Bravo ! Et maintenant, on fait quoi ?
Votre adversaire n’a pas fait appel dans le délai d’un mois ? Il a capitulé ? Bravo, vous êtes déclaré vainqueur !
Il vous faut donc procéder à l’exécution de la décision que vous avez obtenue.
- Première étape : Soyez courtois.
Ecrivez à votre adversaire (lettre simple) pour lui demander s’il compte exécuter cette décision, auquel cas, qu’il vous envoie un chèque du montant en question sous huit jours, faute de quoi, vous ferez exécuter cette décision par un huissier.
- Pas de réponse ? Lâchez les huissiers !
Si vous n’avez pas été payé, l’huissier pourra effectuer une saisie chez votre adversaire. Essayez de connaître sa banque (elle peut figurer sur le bon de commande pour un paiement par virement, sinon, essayez de savoir par votre banque sur quel compte votre chèque a été encaissé). Une saisie sur compte bancaire (saisie-attribution) est le plus efficace, si le compte est provisionné. Une saisie-vente (saisie du mobilier) peut être un moyen de pression très efficace.
L’huissier s’occupera de tout. Votre adversaire aura sûrement été condamné aux dépens. Dans ce cas, le coût de l’assignation, de la signification et des saisies est à sa charge. Si l’huissier peut vous en demander l’avance, il doit ajouter ces sommes à la condamnation (qu’on appelle le principal) lorsqu’il effectue la saisie et vous les rembourser. Soyez vigilant là.
Vous avez maintenant fini. Vous pouvez rappeler vos troupes et fêter votre victoire avec vos amis.
Voilà, ce petit guide touche à sa fin. Merci de l’avoir lu et je reste à votre disposition pour en débattre ou me poser des questions.
Petit NB: Une loi ne stipule pas. Le verbe stipuler vient du latin “stipulari” qui signifie “promettre”. La loi ne promet pas. Elle dispose, dit, déclare, prévoit.